Coucou toi ! đ
Je voudrais te partager un petit Ă©pisode que jâai vĂ©cu la semaine derniĂšre et qui mâa profondĂ©ment marquĂ©e.
Alors que je rentre chez moi, comme tous les soirs, en train, je suis tĂ©moin dâune scĂšne dâune violence inouĂŻe. Une petite princesse dâenviron 4 ans est assise prĂšs de moi. En face dâelle, un homme, Ă priori son pĂšre. Il lui parle avec une telle violence que cela attire trĂšs vite mon attention. Je l’entends dire dâun ton mĂ©prisant Ă cette petite bouille d’ange quâelle n’est bonne Ă rien, quâelle nâarrive Ă rien faire⊠Pourtant, elle ne parle pas, elle nâembĂȘte personne, ne fait aucune bĂȘtise. Elle est simplement lĂ , assise, haute comme 3 pommes, avec son petit sac Ă dos. En fait, elle ne fait quâexister, mais elle semble ĂȘtre un parasite. Je le vois la forcer Ă manger un paquet de chips plus grand quâelle, et dĂšs qu’elle ne le fait pas assez vite Ă ses yeux, il la frappe tout en vocifĂ©rant. Les larmes me montent aux yeux, je regarde mes voisins en leur demandant si on intervient. A ce moment, le pĂšre descend du wagon et trace sa route, laissant sa petite fille le suivre comme elle le peut.
Je voulais te partager cet Ă©pisode car peut-ĂȘtre que toi aussi tu as Ă©tĂ© tĂ©moin de telles situations. Il est possible que tu aies Ă©galement vĂ©cue de la maltraitance Ă©tant petite. La maltraitance ne se rĂ©duit pas Ă des coups, mais peut aussi passer par des mots. Certains parents nâaiment pas leurs enfants. Dâautres se servent de leur enfant comme un dĂ©fouloir Ă©motionnel, un punching-ball sur lequel ils dĂ©versent toute leur frustration, leur colĂšre, leurs rancĆurs ou insatisfactions. Ce pĂšre indigne semblait vĂ©ritablement malveillant, et je suis rentrĂ©e chez moi en colĂšre et bouleversĂ©e.
Mais il est parfois dâautres formes de maltraitance, moins visibles socialement, plus larvĂ©es que les coups ou les insultes. Câest le cas par exemple de la âpĂ©dagogie noire ». Laisse-moi tâexpliquer ce que câest.
Quâest-ce que la pĂ©dagogie noire ?
La pĂ©dagogie noire est un ensemble de mĂ©thodes Ă©ducatives rĂ©pressives fondĂ©es sur un principe simple : Il faut conditionner son enfant Ă ĂȘtre celui que l’on voudrait qu’il soit. C’est l’historienne Katharina Rutschky qui a dĂ©cryptĂ© cette forme dâĂ©ducation. Alice Muller, cĂ©lĂšbre psychanalyste, lâa fait connaitre au grand public.
Cela consiste en quoi ?
Alice Miller explique que, dans la pĂ©dagogie noire, la relation parent-enfant est trĂšs particuliĂšre. En effet, lâadulte est le maĂźtre de lâenfant et dĂ©cide de tout ce qui est bien ou mal. Il n’y a lĂ pas de relation d’amour, mais plutĂŽt un rapport de pouvoir. Dans ce type d’Ă©ducation, le parent est roi et ne doit surtout pas laisser de place Ă l’enfant, de peur que lâenfant ne devienne âle petit roiâ. Le nourrisson est vu comme un ĂȘtre tyrannique, entĂȘtĂ©, exigeant. Ses besoins sont perçus comme des caprices. Aussi faut-il le punir le plus tĂŽt possible et lâĂ©duquer sĂ©vĂšrement en le rĂ©primandant. Ce qui revient Ă Ă©touffer le plus tĂŽt possible sa capacitĂ© dâexpression de ses besoins. Il faut que lâenfant obĂ©isse Ă lâadulte au doigt et Ă lâĆil. L‘intimidation, les menaces, la culpabilisation ou lâironie sont frĂ©quemment utilisĂ©es. La pĂ©dagogie noire est perverse dans le sens oĂč elle contraint lâenfant Ă ĂȘtre loyal envers ses parents mĂȘme sâils lui font du mal. Dans ce type dâĂ©ducation, lâexpression de ses sentiments nâest pas la bienvenue. Car elle est perçue comme rendant les gens âfaiblesâ. Il n’y a donc pas d’amour vĂ©ritable, si ce n’est un semblant dâaffection trĂšs conditionnel. Lâenfant va donc trĂšs vite intĂ©grer qu’il ne sera « aimĂ© » que sâil fait âtout bienâ, sâil est âsageâ, sâil accepte tout docilement et obĂ©it sans contester.
A cela peut sâajouter de la violence physique, plus ou moins marquĂ©e. Ca te choque ? Moi aussi !
Frapper des adultes, c’est de la torture, frapper des enfants, c’est de l’Ă©ducation -« Dire la vĂ©ritĂ© aux enfants » – Alice Miller
Quel est lâobjectif dâune telle pĂ©dagogie ?
Lâobjectif est de briser le plus tĂŽt possible la volontĂ© de lâenfant, il faut donc le « dresser » comme sâil sâagissait dâun animal. Le parent (ou lâĂ©ducateur) va «formater » lâenfant pour que celui-ci adopte le comportement ou lâattitude exigĂ©e. La peur, les brimades, les punitions, la manipulation, le recours Ă la honte, Ă lâhumiliation – voire Ă la violence – comme mĂ©thode Ă©ducative, tout est utilisĂ© pour que lâenfant se conforme Ă ce quâon attend de lui. La rĂ©ussite consistant Ă rĂ©primer en lui toute volontĂ©, colĂšres, ou mĂȘme demandes, par la culpabilisation ou la menace de perdre « lâamour » ou lâestime du parent.
Quel en est lâimpact ?
Câest un systĂšme rĂ©pressif, contrĂŽlant et manipulateur qui tue la vitalitĂ© dâun enfant, car on lui interdit de se connecter Ă ses Ă©motions et ses affects. Lâadulte exige une soumission absolue de lâenfant, et demande mĂȘme, en plus, lâapprobation de tout ce quâil fait. Aucune rĂ©volte nâest possible. Ses dĂ©cisions font loi, ce qui lui permet dâimposer ses choix. Câest en fin de compte, extrĂȘmement castrateur. Lâenfant nâa pas les ressources pour se dĂ©fendre face Ă des mauvais traitements subis, mais doit en plus respect et reconnaissance aux parents pour tout cela. Cette forme dâĂ©ducation nocive persiste encore malheureusement dans certains milieux.
C’est bien beau tout ça, mais alors comment Ă©lever ses enfants autrement ?
C’est ce que je te propose de lire dans un prochain article. J’aimerais aborder avec toi l’inverse de cette pĂ©dagogie : on lâappelle la pĂ©dagogie blanche, ou encore pĂ©dagogie positive. En attendant, si on veut en savoir plus,  je t’encourage Ă lire le livre « Câest pour ton bien » dâAlice Miller.
Et toi, comment rĂ©agirais-tu si tu Ă©tais tĂ©moin de violence entre un parent et un enfant ? Jâavoue, moi, je ne sais jamais trop quoi faireâŠ.
En effet, quand on est tĂ©moin de cela, ce n’est pas du tout Ă©vident. Intervenir de front, souvent je me dis que ca ne ferait que irriter le parent qui rejetterai la faute sur l’enfant direct aprĂ©s. Et on a pas envie d’engrainer al situation. On se sent bien dĂ©muni face Ă cela, surtout comme ça dans la rue. Encore quand c’est dans le cadre de l’Ă©cole ou autre, il y’a moyen d’agir plus ou moins efficacement.
Rien qu’en lisant ton histoire, j’en avais la boule au ventre. Mais merci pour cet article intĂ©ressant, j’aime beaucoup comment tu Ă©crit, c’est facile de te lire on en dĂ©croche pas.
Bref bravo !
Hello Sandra, merci pour ton partage ! J’ai la mĂȘme interrogation que toi. Je pense qu’on est bcp Ă se sentir dĂ©munis quand ça se passe dans des lieux publics… En tant que femme ce n’est pas Ă©vident aussi, face Ă un papa difficile de faire le poids ! En tout cas merci pour tes encouragements ça me va droit au coeur đ
Moi j’ai lu un livre super intĂ©ressant qui explique trĂšs bien ce sujet : Au cĆur des Ă©motions de l’enfant, Isabelle Filliozat. Si tu l’as pas lu je te le conseil. đ
Oh gĂ©nial ! Merci pour ce conseil Cindy, je ne le connaissais pas. Je note ça đ
Ce sont malheureusement les violences les plus frĂ©quentes au sein d un foyer… taper, on sait que c est mal mais les violences ordinaires Ă©ducatives sont les plus fourbes car il est difficile de s en « plaindre » plus tard car la rĂ©ponse du parent va ĂȘtre « J ai fait ce que j ai pu », « moi, j ai eu pire enfant », etc. et bim ! C est encore nous qui devons avoir honte… Bon, je trouve que la vie est bien faite quand mĂȘme, j ai une petite « vengeance » personnelle (ma fille a un oncle de 2 ans de plus qu elle, ma mĂšre constate que d autres relations existent…)
Merci pour ton commentaire plein de sagesse Lindsay ! Effectivement, c’est une forme de maltraitante fourbe et je pense que certaines personnes peuvent vivre des annĂ©es avec ce fardeau… C’est pour ça qu’il faut en parler đ
Hello Johanna, un grand merci pour ce tĂ©moignage que tu livres de façon trĂšs constructive et bienveillante. Oui, j’ai dĂ©jĂ Ă©tĂ© tĂ©moin de scĂšnes insupportables comme celle-ci. J’Ă©tais bloquĂ©e entre ma rĂ©volte intĂ©rieure de vouloir venir au secours de cette petite fille, en l’occurrence que sa maman utilisait littĂ©ralement comme une mule qu’elle chargeait de ses courses et sur qui elle hurlait avec des petits noms insultants. J’Ă©tais, donc, bloquĂ©e entre ce sentiment de rĂ©volte, et la peur que tu exprimes aussi et que j’ai lu dans un autre commentaire, que le parent soit encore plus irritĂ© aprĂšs mon Ă©ventuelle intervention et se dĂ©charge ensuite sur son enfant une fois Ă l’abri des regards. Je crois aussi qu’avoir vĂ©cu des violences et de la maltraitance dans l’enfance renforce l’empathie dans de telles situations, et heureusement. Oui, j’ai Ă©tĂ© concernĂ©e enfant, et je dĂ©couvre le concept de « la pĂ©dagogie noire » avec ton article. TrĂšs parlant pour un de mes parents. AprĂšs, le fait d’utiliser le terme « pĂ©dagogie » m’interpelle personnellement dans ce contexte. En effet, pour moi, le parent qui utilise cette stratĂ©gie le fait plus ou moins inconsciemment, alors que la pĂ©dagogie est quelque chose qui se veut construit et organisĂ© en conscience pour aider l’apprenant vers plus d’autonomie grĂące Ă la connaissance. A la relecture, peut-ĂȘtre que ce qui me dĂ©range c’est la comparaison entre un parent violent et un enseignant. J’ignore si des parents violents construisent tout un plan consciemment en ce sens, ou si c’est avec le recul et la psychanalyse que l’enfant devenu adulte interprĂšte cela comme un plan montĂ© par et pour servir le parent. En tout cas, ravie de dĂ©couvrir ton blog via cet article đ
[…] faire ou pas, ce quâil faut aimer ou pas. Ce style Ă©ducatif Ă©tait trĂšs largement inspirĂ© de la pĂ©dagogie noire. Les frustrations que lâenfant accumule ainsi en grandissant sont immenses. Certains se […]